Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 2.djvu/124

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récompenser et de punir ; mais il faut avouer que cette conséquence n’est point absolument juste. Je suis très éloigné des sentiments de Bradwardin[1], de Wiclef, de Hobbes et de Spinosa, qui enseignent, ce semble, cette nécessité toute mathématique, que je crois avoir suffisamment réfutée, et peut-être plus clairement qu’on n’a coutume de faire : cependant il faut toujours rendre témoignage à la vérité, et ne point imputer à un dogme ce qui ne s’ensuit point. Outre que ces arguments prouvent trop, puisqu’ils en prouveraient autant contre la nécessité hypothétique, et justifieraient le sophisme paresseux. Car la nécessité absolue de la suite des causes n’ajouterait rien en cela à la certitude infaillible d’une nécessité hypothétique.

68 Premièrement donc il faut convenir, qu’il est permis de tuer un furieux, quand on ne peut s’en défendre autrement. On avouera aussi qu’il est permis, et même souvent nécessaire de détruire des animaux venimeux ou fort nuisibles quoiqu’ils ne soient pas tels par leur faute.

69 Secondement, on inflige des peines à une bête, quoique destituée de raison et de liberté, quand on juge que cela peut servir à la corriger ; c’est ainsi qu’on punit les chiens et les chevaux, et cela avec beaucoup de succès. Les récompenses ne nous servent pas moins pour gouverner les animaux, et quand un animal a faim, la nourriture qu’on lui donne lui fait faire ce qu’on n’obtiendrait jamais autrement de lui.

70 Troisièmement, on infligerait encore aux bètes des peines capitales (où il ne s’agit plus de la correction de la bête qu’on punit), si cette peine pouvait servir d’exemple, ou donner de la terreur aux autres, pour les faire cesser de mal faire. Rorarius dans son livre de la liaison des Bêtes, dit qu’on crucifiait les lions en Afrique, pour éloigner les autres lions des villes et des lieux fréquentés ; et qu’il avait remarqué en passant par le pays de Juliers, qu’on y pendait les loups, pour mieux assurer les bergeries. Il y a des gens dans les villages qui clouent des oiseaux de proie aux portes des maisons, dans l’opinion que d’autres oiseaux semblables n’y viendront pas si facilement. Et ces procédures seraient toujours bien fondées, si elles servaient.

  1. Gradwardix (Thomas), archevêque de Cantorbéry, né à llartlield en 1290, mort à Lambeth en 1348. Le plus célèbre de ses ouvrages est le De Causa Dei contra Petaginm, oit les protestants ont cru trouver leur doctrine de la grâce. On a de lui une Gcomeln’a xpreulativa, Paris, 1531, et une Aril/imetica specululiva, Paris, 1502. P. J.