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d’après ce qu’ils purent savoir de plus précis, avait un visage de femme et l’autre avait l’aspect d’un homme, bien qu’il fût plus grand qu’aucun être humain ; on appelait ce dernier Grendel. On ne lui connaissait pas de père et on ignorait s’il avait engendré quelque démon. Leur demeure est une terre cachée, des collines de loups, des caps venteux, d’horribles sentiers des marais où les torrents de montagnes se précipitent à l’ombre des promontoires ; c’est non loin d’ici que se trouve la mer ; des bois au feuillage bruissant1 ombragent ses eaux. Chaque nuit on peut voir des prodiges en ce lieu : le feu brille sur les eaux ; aucun homme, si instruit qu’il puisse être, ne sait où se trouve l’abîme. Le cerf aux fortes ramures harassé par les chiens et cherchant le couvert des bois, aime mieux livrer sa vie sur le bord que de se réfugier dans ses flots. Ce n’est pas un endroit agréable ; les vagues, quand le souffle de la tempête les agite, s’y élèvent en masses sombres vers les nuages jusqu’au moment où le ciel s’obscurcit et laisse couler ses larmes. Maintenant le secours est prêt ; à toi d’agir encore ! Tu ne connais pas encore le lieu terrible où tu pourras trouver l’esprit du mal : cherche-le donc si tu l’oses ! Je te récompenserai, comme je l’ai déjà fait, par des trésors, si tu réchappes de cette guerre ! »
Beowulf, fils d’Ecgtheow, parla ainsi :
« Ne crains rien, ô homme sagace ! Mieux vaut certes venger un ami que le pleurer ; chacun de nous doit subir la mort ; que celui qui le peut se couvre de gloire avant sa fin ! La gloire est la meilleure récompense de celui qui succombe. Lève-toi, ô roi, allons vite trouver la trace1 de la mère de Grendel. Je te promets qu’en aucun asile où elle puisse se trouver elle ne pourra nous échapper, que ce soit dans les entrailles de la terre, dans les bois des montagnes ou dans le fond de la mer. Patiente encore aujourd’hui avec tes maux, car j’espère qu’ils prendront bientôt fin. »