Page:Boccace - Décaméron.djvu/36

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garnis et jonchés d’herbes odoriférantes et de toutes les fleurs que la saison pouvait produire. À peine arrivés, ils s’assirent, et Dioneo, qui entre tous, était un jeune homme plaisant et plein d’esprit dit : « — Mesdames, votre instinct, bien plus que notre sagacité, nous a conduits ici. Je ne sais ce que, dans votre pensée, vous entendez y faire ; pour moi, j’ai laissé toutes mes idées au dedans des portes de la ville, alors que j’en suis sorti il n’y a qu’un instant avec vous. C’est pourquoi, ou bien disposez-vous à vous divertir, à rire ou à chanter avec moi — je dis tout autant qu’il convient à votre dignité — ou bien permettez que j’aille retrouver mes idées et que je rentre dans la cité si éprouvée. — » À quoi Pampinea, comme si elle avait également chassé tous ses soucis, répondit joyeusement : « — Dioneo, tu parles très bien ; il faut vivre en une fête continuelle ; ce n’est pas un autre motif qui nous a fait fuir ces tristesses. Mais pour ce que les choses faites sans mesure ne peuvent durer longtemps, moi qui ai eu la première l’idée de former une si belle société, je songe au moyen de nous entretenir en joie. Je pense qu’il est nécessaire de choisir parmi nous un chef que nous honorerons, et auquel nous obéirons comme étant notre supérieur, et dont l’unique pensée sera de nous disposer à vivre joyeusement. Et afin que chacun éprouve le poids de cette sollicitude, ainsi que le plaisir de la souveraineté, et, étant choisi d’un côté et de l’autre, ne puisse inspirer aucune jalousie, je dis que ce fardeau et cet honneur doivent être confiés à chacun de nous pour une journée. Le premier sera nommé à l’élection par nous tous. Pour ceux qui suivront, lorsque l’heure de vesprée s’approchera, ils seront élus au bon plaisir de celui, qui, ce jour-là, aura possédé le pouvoir souverain. Et celui ou celle que nous aurons reconnu pour chef, pendant tout le temps que durera son pouvoir, ordonnera et disposera toute chose, le lieu où nous nous tiendrons, et la façon dont nous aurons à vivre. — »

Ces paroles plurent beaucoup, et d’une seule voix, ils l’élurent reine pour le premier jour. Philomène ayant aussitôt couru vers un laurier, pour ce qu’elle avait entendu dire en quelle grande estime étaient les feuilles de cet arbre, et combien elles honoraient quiconque méritait d’en être couronné, cueillit quelques uns de ses rameaux dont elle fit une belle couronne. Cette couronne, mise sur la tête du roi ou de la reine, fut, pendant tout le temps que dura la compagnie, le signe manifeste pour tous de la souveraineté royale.

Pampinea, faite reine, ordonna à tous de se taire. Puis ayant fait venir devant elle les domestiques des trois jeunes gens et les servantes qui étaient au nombre de quatre, et