debout dans l’amour de la vie. Aimer la vie que ces devoirs nous font ? Assemblez des familles provinciales, des prospectus, des examens, des jeunes filles bien élevées, des putains accoudées sur de faux marbres, des avenues noires, des leçons à trente francs l’heure et la table kantienne des jugements, vous êtes des hommes, voilà de quoi combler votre jeunesse.
Ces journées des dupes se déroulent dans la fausse lumière de foire nationale du lendemain de la guerre : elles ont commencé avec le matin de l’armistice, la seule fête des rues que j’aie vue. Une grande expiration tenue des années au fond des poumons, des désirs de sexe et de boisson, le droit naturel d’allumer toutes les lampes qu’on voulait, d’insulter les anciens ennemis, le jour enfin où j’embrassai boulevard Montmartre devant la boucherie en gros du Matin la première bouche de ma vie. Les combattants vidés de toute leur guerre entretiennent cette flamme aussi fidèlement que le gaz imbécile sous l’Arc-de-Triomphe : éclatants de l’orgueil insolent d’avoir été forcés aux sacrifices, ils exploitent devant nous les morts nationaux. Dans ces cadavres glorieux tout est bon pour une sinistre charcuterie qui débite publiquement tous les morceaux des morts. Ils vivent selon l’ordre militaire qu’ils rêvent de maintenir dans une nation déréglée, entourée des ennemis qu’ils lui inventent tous les jours : tous les cœurs sont imprégnés par eux d’une sale odeur de combat, de bivouac et de permission de détente. Derrière ce déballage d’idéal patriotique qui séduit quelques adolescents de bonne famille s’organisent l’industrie française et la petite guerre civile contre les ouvriers qui ne mangent pas les morts. Nous y pensons encore faiblement, mais ces gens-là sont pour nous les défenseurs bruyants de la loi, les prophètes de nos devoirs. Rien ne nous concerne dans ces fables : nous cherchons quelque