quelques coutumes de l’intelligence. Mais mes actions ne marchaient pas avec des béquilles. Les seuls groupes qui m’avaient accueilli étaient scolaires, universitaires, familiaux : tout cela était profondément inutile pour quelqu’un qui tombait du lycée dans des histoires de pétrole et l’existence mauvaise des grandes personnes.
Je me cherchais en vain des obligations, ces habitudes que personne ne comprend, ces dieux imaginaires dont l’ombre s’étend sur tous les cœurs.
Par hasard j’étais sans chaînes et sans tribu dans une foule où chaque passant reconnaissait les siens, et pouvait échanger des rites contre des rites, des mots de passe et des mots de ralliement.
Cet échange militaire fournit aux hommes une de leurs illusions du bonheur et toutes les illusions de la vie, de la défaite, de la paix et de la guerre. Il les empêche de se rendre compte tous ensemble, et tout d’un coup qu’ils marchent dans leur existence comme des chiens dans un jeu de quilles.
Pour moi, rien de prescrit, rien d’interdit, ni viande, ni vin, ni vêtement, ni femme de telle ou telle caste, ni modestie, ni débauche. Personne à adorer, à fléchir en priant, à remercier par des offrandes. Dans cette absence des dieux et des anges, j’étais dépouillé des symboles de la piété et des lois, des catéchismes, des cultes, des mots d’ordre. Les actes ne me semblaient pas plus moraux que le mouvement des feuilles dans un arbre. Je vivais dans la nature, les hommes en faisaient partie sans transfiguration. Un vautour était un vautour, une vache était une vache, le triangle maçonnique un triangle, le drapeau du consulat de France une étoffe. Je ne devais pas porter une coiffure en forme de sabot de vache, un turban de la longueur d’un linceul : il faut saisir qu’un casque de liège ne concilie aucun peuple,