Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune divinité, qu’un costume de toile blanche est simplement celui qui absorbe le moins les rayons : l’européen colonial ne saisit pas les larges limites que lui découvrirait l’intelligence de ses vestons tissés mécaniquement et réduits à des fonctions véritablement physiques.

Enfin je flottais dans une mer de prescriptions, de codes et de machinations religieuses comme un poisson entre deux eaux.

Les autres vivaient par clans, par religions, par couleurs de peau, par nations, par clubs, par maisons de commerce, par régiments. Ils passaient leur temps à inventer des subdivisions, des cloisons, des échelons sur lesquels ces singes montaient et descendaient. Ils se regardaient aussi comme des détachements en campagne. Dire que ces fous auraient pu aimer des hommes, qu’ils n’étaient faits que pour cela ! Les arabes haïssaient les juifs, les membres de l’Union Club méprisaient ceux de l’International Club qui admettait les ingénieurs italiens des salines, les fabricants grecs de cigarettes dont aucun officier de l’artillerie britannique ne saurait parler sans rire.

Il y avait un jeu inextricable de distances sociales où tout ce monde se glissait et se reconnaissait avec une dextérité merveilleuse, des degrés hiérarchiques au bas desquels se trouvaient sans doute les juifs humbles et crasseux qui habitent autour de la synagogue où ils vont se consoler de bien des affronts en priant le dieu des vengeances, les épaules entourées d’un thaless poétique comme la nuit. Au sommet de la pyramide il y avait l’agent de la Peninsular, deux ou trois commerçants puissants dans la Mer Rouge, les officiers, le Gouverneur, et dans le Crescent, à Steamer Point, la statue assise de la grosse reine Victoria avec ses joues pendantes, ses petits yeux coincés d’ivrognesse.