Page:Europe, revue mensuelle, No 94, 1930-10-15.djvu/74

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Quelle drôle d’idée d’avoir pris racine sur ce rocher. Partout ailleurs les humains s’accrochent aux points d’eau entourés d’arbres et de champs qu’on irrigue. Mais dans ce pays sans fontaines ils boivent la précipitation de rares pluies, et les eaux distillées de l’Océan Indien. Des navires ramènent des cargaisons d’eau puisées dans le canal d’eau douce à Suez. Les orages que les habitants titubants de sommeil contemplent de nuit comme une procession, emplissent parfois les cuves profondes des citernes de Cléopâtre plus mystérieuses que les catacombes de Rome.

Les hommes sont faits pour les ancrages : c’est en tous lieux leur sagesse, c’est ici une folie noire et volontaire. Ils savent bien partir sur les plus longues routes de leur globe aplati comme les melons d’eau : à peine débarqués aux escales, ils se cramponnent au moindre tas de sable. Ces perceurs de murailles perforent les rochers pour y faire des trous, menés par des desseins obscurs. Ces desseins, vous les nommez ici guerre, commerce et transit : croyez-vous que ces mots excuseront tout jusqu’à la fin des temps ?

VIII

DANS cette mixture de l’Orient et de l’Empire britannique, je sentais chaque semaine, chaque soirée s’accélérer un vertige dont je n’avais pas prévu l’existence surprenante.

C’est le vertige même des hommes qui viennent de détruire leurs habitudes et qui n’ont pas tout perdu dans cette victoire à la Pyrrhus.

Je m’apercevais que je n’avais pas acquis d’habitudes incurables, j’étais propre. J’avais des habitudes de traduction, de déchiffrement, d’analyse logique,