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comme dans la popovstchine les ennemis intérieurs ou étrangers du gouvernement russe ne trouveront pas plus d’appui ou d’encouragement que n’en trouverait un ennemi de la France parmi les protestans français.

Entre les sans-prêtres et l’état, ou mieux entre les sans-prêtres et la société reste la question du mariage, de la famille. Pour la bezpopovstchine, qui proclame la perte du sacerdoce, le mariage sacramentel n’existe plus. C’est là le point de vue commun de toutes les congrégations, c’est là en même temps le principal objet de leurs dissensions. La disparition du sacrement entraîne-t-elle la suppression absolue du mariage, fait-elle du célibat une obligation universelle, ou la miséricorde divine et les besoins de la société autorisent-ils à suppléer au sacrement perdu ? Sur ce problème capital, tous les points de vue possibles ont trouvé des partisans. Les plus modérés ont conservé ou restauré l’union conjugale, n’exigeant pour la consacrer que la bénédiction des parens ou le baisement de la croix et de l’Évangile en présence de la famille, ce qui pour les Russes est la forme la plus solennelle du serment. Selon d’autres, comme certains pomortsy, le sacrement étant abrogé, toute l’essence du mariage est dans le consentement mutuel des deux époux, et la vie conjugale n’est légitime qu’autant que dure ce consentement. L’amour, disent quelques-uns de ces sans-prêtres, est de nature divine, c’est à l’union des cœurs de décider de l’union des existences. On assure que, parmi les sans-prêtres de Russie, ces ménages qu’un caprice peut rompre sont souvent durables et paisibles, comme si des époux libres de se séparer montraient l’un pour l’autre d’autant plus de douceur et d’attachement, ou comme si un lien qui peut toujours être dénoué restait d’autant moins tendu qu’il est plus facile à rejeter. Il se peut que la simplicité des mœurs et le sérieux des convictions religieuses mitigent souvent ce qu’il y a de faux et de malsain dans de pareilles situations. Sous tous ces beaux dehors et ces poétiques formulés, l’union libre, l’amour libre chez les sectes russes, comme chez les prétendus réformateurs de l’Occident, n’en garde pas moins un vice ineffaçable. Au fond, ce n’est toujours qu’un concubinage avec toutes les illusions et les déceptions, avec toutes les souffrances et les déchiremens de ces liaisons sans garantie. Sentant eux-mêmes la fragilité du nœud qui les unissait, les sectaires, désireux de faire légaliser leur union, allaient parfois, sous l’impulsion de leurs femmes, se faire marier par le pope dont ils niaient les pouvoirs, sauf à se soumettre ensuite à des pénitences de la part de leur communauté. Chez plusieurs de ces sectes, on a vu tous les abus et les scandales des pays où le divorce est facile ; on a vu les époux s’unir sans sérieux et se séparer sans gravité, au grand dommage des enfans et