Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/112

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voyait mais n’osait pas rester de peur de l’irriter en ayant l’air d’épier les plaisirs qu’elle prenait avec d’autres et qui — tandis qu’il rentrait solitaire, qu’il allait se coucher anxieux comme je devais l’être moi-même quelques années plus tard les soirs où il viendrait dîner à la maison, à Combray — lui semblaient illimités parce qu’il n’en avait pas vu la fin. Et une fois ou deux il connut par de tels soirs de ces joies qu’on serait tenté, si elles ne subissaient avec tant de violence le choc en retour de l’inquiétude brusquement arrêtée, d’appeler des joies calmes, parce qu’elles consistent en un apaisement : il était allé passer un instant à un raout chez le peintre et s’apprêtait à le quitter ; il y laissait Odette muée en une brillante étrangère au milieu d’hommes à qui ses regards et sa gaîté, qui n’étaient pas pour lui, semblaient parler de quelque volupté, qui serait goûtée là ou ailleurs (peut-être au « Bal des Incohérents » où il tremblait qu’elle n’allât ensuite) et qui causait à Swann plus de jalousie que l’union charnelle même parce qu’il l’imaginait plus difficilement ; il était déjà prêt à passer la porte de l’atelier quand il s’entendait rappeler par ces mots (qui en retranchant de la fête cette fin qui l’épouvantait, la lui rendaient rétrospectivement innocente, faisaient du retour d’Odette une chose non plus inconcevable et terrible, mais douce et connue et qui tiendrait à côté de lui, pareille à un peu de sa vie de tous les jours, dans sa voiture, et dépouillait Odette elle-même de son apparence trop brillante et gaie, montraient que ce n’était qu’un déguisement qu’elle avait revêtu un moment, pour lui-même, non en vue de mystérieux plaisirs, et duquel elle était déjà lasse), par ces mots qu’Odette lui jetait, comme il était déjà sur le seuil : « Vous ne voudriez pas m’attendre cinq minutes, je vais partir, nous re-