Page:À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 2.djvu/257

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les idées sur lesquelles j’embranchais maintenant son nom étaient différentes des idées dans le réseau desquelles il était autrefois compris et que je n’utilisais plus jamais quand j’avais à penser à lui, il était devenu un personnage nouveau ; je le rattachai pourtant par une ligne artificielle, secondaire et transversale à notre invité d’autrefois ; et comme rien n’avait plus pour moi de prix que dans la mesure où mon amour pouvait en profiter, ce fut avec un mouvement de honte et le regret de ne pouvoir les effacer que je retrouvai les années où, aux yeux de ce même Swann qui était en ce moment devant moi aux Champs-Élysées et à qui heureusement Gilberte n’avait peut-être pas dit mon nom, je m’étais si souvent le soir rendu ridicule en envoyant demander à maman de monter dans ma chambre me dire bonsoir, pendant qu’elle prenait le café avec lui, mon père et mes grands-parents, à la table du jardin.) Il disait à Gilberte qu’il lui permettait de faire une partie, qu’il pouvait attendre un quart d’heure, et s’asseyant comme tout le monde sur une chaise de fer payait son ticket de cette main que Philippe VII avait si souvent retenue dans la sienne, tandis que nous commencions à jouer sur la pelouse, faisant envoler les pigeons, dont les beaux corps irisés qui ont la forme d’un cœur et sont comme les lilas du règne des oiseaux, venaient se réfugier comme en des lieux d’asile, tel sur le grand vase de pierre, à qui son bec en y disparaissant faisait faire le geste et assignait la destination d’offrir en abondance les fruits ou les graines qu’il avait l’air d’y picorer, tel autre sur le front de la statue, qu’il semblait surmonter d’un de ces objets en émail desquels la polychromie varie dans certaines œuvres antiques la monotonie de la pierre, et d’un attribut qui, quand la déesse le porte, lui vaut une épithète