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Page:Élémir Bourges, Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent, 1893.djvu/12

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trait, sur cette matière, fort austère et même renfrogné, répondant par monosyllabes, et parfois rompant ouvertement les compliments qu’on lui adressait. A l’entrée même de l’hiver, c’est-à-dire vers la fin d’octobre, Son Altesse partit subitement pour sa terre de Biélo, emmenant la Grande-Duchesse, et la princesse Sacha Gourguin les rejoignit presque aussitôt.

Je me vois forcé, maintenant, d’entrer dans un détail quelque peu minutieux, et vous demande, en cet endroit, de la patience, si bizarre ou même rebutant que ce récit puisse vous paraître ; mais les mœurs russes sont bien loin d’être aussi polies que vos mœurs. De plus, je m’assure, monsieur, que la confidence que je vous fais, pleine et entière, et ne cachant ni les choses, ni les noms, ni les fautes, demeurera sous un secret absolu entre nous[1]

Le 13 janvier 1844, Mme Maria-Pia, entendant la messe en son oratoire, car elle était demeurée catholique, par permission spéciale du tsar, ressentit de violentes douleurs. On l’emporta dans son appartement ; sa dame. d’atour portugaise lui arrangea les cheveux comme on les arrange en Portugal aux femmes qui vont accoucher et qui ne doivent pas de sitôt changer de coiffure ; le médecin fut averti ; on prépara les langes et le berceau, et l’on coucha promptement la malade.

Le Grand-Duc, quand on lui apprit l’événement, allait partir pour la chasse au loup, avec la princesse Gourguin et plusieurs gentilshommes de Novgorod. Il manifesta un violent dépit et dit, comme en furie, à la camériste, qu’elle était folle et sa maîtresse aussi. Cependant, il renvoya les traîneaux, s’excusa auprès de ses invités et monta chez la Grande-Duchesse,

La nouvelle y avait rassemblé, en désordre, la petite maison portugaise dont Maria-Pia avait été suivie : le chapelain, la dame d’atour, deux femmes de chambre qui étaient sœurs, et les favorites de leur maîtresse. Mais,

  1. La discrétion est l’apanage de l’homme d’État. La réunion de ses lumières, pour grande et pour variée qu’elle soit, ne vaut en somme que par les ténèbres dont il sait à propos s’envelopper, aussi bien dans les congrès de l’Europe que dans les colloques d’un Parlement. (Note de M. Thiers.).