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On peut dire que jusqu’à maintenant aucune révolution n’a été complètement spontanée, et c’est pour cela qu’aucune n’a complètement triomphé. Tous ces grands mouvements, sans exception, ont été plus ou moins dirigés et par conséquent ils n’ont réussi que pour les directeurs. C’est une classe qui a fait la Réforme et qui en a recueilli les avantages, c’est une classe qui a fait la Révolution française et qui en exploite les profits, mettant en coupe réglée tous les malheureux qui l’ont servie pour lui procurer la victoire.

Aussi chaque révolution eut-elle son lendemain. La veille, on poussait le populaire au combat, le lendemain on l’exhortait à la sagesse ; la veille on l’assurait que l’insurrection est le plus sacré des devoirs, et le lendemain on lui prêchait que le roi est la meilleure des républiques, ou que le parfait dévouement consiste à mettre trois mois de misère au service de la Bourgeoisie. De révolution en révolution le cours de l’histoire ressemble à celui d’un fleuve arrêté de distance en distance par des écluses. Chaque gouvernement, chaque parti vainqueur essaie à son tour d’endiguer le courant pour l’utiliser à droite et à gauche dans ses prairies ou dans ses moulins. Nous verrons s’il en sera toujours ainsi et si le peuple consentira sans cesse à faire la révolution non pour lui, mais pour quelque habile soldat, avocat ou banquier.

Cet éternel va et vient qui nous montre dans le passé la série des révolutions partiellement avortées, le labeur infini des générations qui se succèdent à la peine, roulant sans cesse le rocher qui les écrase, cette ironie du destin qui montre des captifs brisant leurs chaînes pour se laisser ferrer à nouveau, tout cela est la cause d’un