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Page:Élisée Reclus - Évolution et révolution, 1891.djvu/27

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terre qui donne la vie matérielle, qui fait de la chair et du sang, et ils en veulent leur part. Nombreux sont ceux qui même savent que leur vouloir est justifié par la richesse surabondante de la terre.

Longtemps nous avons cru avec les savants trompeurs que la misère était fatale, que si les malheureux mouraient, c’est qu’en réalité il n’y avait pas assez de produits pour subvenir aux nécessités de tous les hommes. On voyait d’un côté la tourbe des pauvres faméliques, de l’autre côté quelques rares privilégiés mangeant à leur faim et s’habillant à leur fantaisie, et on s’imaginait en toute naïveté qu’il ne pouvait en être autrement ! Il est vrai qu’en temps d’abondance, il eût été possible de partager et qu’en temps de disette tout le monde eût pu se mettre de concert à la ration, mais pareille façon d’agir qui demandait dans l’ensemble de la société un lien de solidarité fraternelle ne paraissait pas encore possible, et le malheureux acceptait son infortune avec résignation. Cette terrible loi de Malthus qui avait été formulée comme une loi mathématique et qui semblait enfermer la société dans les formidables mâchoires de son syllogisme, était acceptée non seulement par les pontifes de la science économique, mais surtout par les victimes de l’économie sociale. Tous les misérables répétaient mélancoliquement le vers de Gilbert :

Au banquet de la vie, infortuné convive !

Ils croyaient savoir, les pauvres gens, qu’il n’y avait point de place pour eux. La science n’avait-elle soufflé dans la trompette du jugement