Page:Élisée Reclus - Évolution et révolution, 1891.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

taurer l’estomac. Tout est en abondance et en sur abondance, et pendant qu’ils errent çà et là, jetant des regards affamés autour d’eux, le marchand se demande comment il pourra faire enchérir tous ses produits, au besoin même en en diminuant la quantité. Mais le fait subsiste, la constance d’excédent pour les produits ! Et pourquoi messieurs les économistes ne commencent-ils pas leurs ouvrages en constatant ce fait capital ? Et pourquoi faut-il que ce soit à nous, révoltés, à le leur apprendre ? Et comment expliquer que les ouvriers sans culture, conversant après le travail de la journée, en sachent plus long à cet égard que les élèves les plus savants de l’École des Sciences morales et politiques ?

Ainsi, sans paradoxe aucun, le peuple — ou tout au moins la partie du peuple qui a le loisir de penser — en sait d’ordinaire beaucoup plus long que la plupart des savants ; il ne connaît pas les détails à l’infini, il n’est pas initié à mille formules de grimoire ; il n’a pas la tête remplie de noms en toute langue comme un catalogue de bibliothèque, mais son horizon est plus large, il voit plus loin dans les origines barbares et plus loin dans l’avenir transformé ; il a une compréhension meilleure de la succession des événements ; il prend une part plus consciente aux grands mouvements de l’histoire ; il connaît mieux la richesse du globe : il est plus homme enfin. À cet égard, on peut dire que tel camarade anarchiste de notre connaissance, jugé digne par la société d’aller mourir en prison, est réellement plus savant que toute une académie ou que toute une bande d’étudiants frais émoulus de l’Université, bourrés de faits scientifiques. Le savant a son immense utilité