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nement féroce. Mais ce que disent les économistes, ce que disent les industriels, les révolutionnaires ne pourront-ils te dire aussi, tout en comprenant qu’entre eux l’accord pour l’existence remplacera graduellement la lutte pour l’existence ? La loi du plus fort ne fonctionnera pas toujours au profit du monopole industriel. « La force prime le droit », a dit Bismarck après tant d’autres ; mais on peut préparer le jour où la force sera au service du droit. S’il est vrai que les idées de solidarité se répandent, s’il est vrai que les conquêtes de la science finissent par pénétrer dans les couches profondes, s’il est vrai que les vérités deviennent propriété commune, si l’évolution se fait dans le sens de la justice ; les travailleurs qui ont en même temps le droit et la force, ne s’en serviront-ils pas pour faire la révolution au profit de tous ? Contre les masses associées, que pourront les individus isolés, si forts qu’ils soient par l’argent, l’intelligence et l’astuce ? Les gens de gouvernement, désespérant de leur cause, en sont venus à ne demander à leurs maîtres que la « poigne », leur seule chance de salut. Il ne serait pas difficile de citer des exemples de ministres que l’on n’a choisis ni pour leur gloire militaire ou leur noble généalogie, ni pour leurs talents ou leur éloquence, mais uniquement pour leur manque de scrupules. À leur sujet le doute n’est point permis : nul préjugé ne les arrête pour la conquête du pouvoir ou des écus.

Dans aucune des révolutions modernes nous n’avons vu les privilégiés combattre leurs propres batailles. Toujours ils s’appuient sur des armées de pauvres auxquels ils enseignent ce qu’on appelle « la religion du drapeau » et qu’ils dressent à ce