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que l’on appelle « le maintien de l’ordre ». Cinq millions d’hommes, sans compter la police haute et basse, sont employés à cette œuvre en Europe. Mais ces armées peuvent se désorganiser, elles peuvent se rappeler les liens d’origine et d’avenir qui les rattachent à la masse populaire ; la main qui les dirige peut manquer de vigueur. Composées en grande partie de prolétaires, elles peuvent devenir, elles deviendront certainement pour la société bourgeoise ce que les barbares à la solde de l’empire sont devenus pour la société romaine, un élément de dissolution. L’histoire abonde en exemples de l’affolement subit qui s’empare des puissants. Quand les malheureux déshérités se seront unis pour leurs intérêts, de métier à métier, de nation à nation, de race à race, quand ils connaîtront bien leur but, n’en doutez pas, l’occasion se présentera certainement d’employer leur force au service du droit, et quelque puissant que soit le maître d’alors, il sera bien faible en face de tous les faméliques ligués contre lui. À la grande évolution qui s’accomplit maintenant succédera la grande révolution si longtemps attendue.

Ce sera le salut et il n’y en a point d’autre. Car si le capital garde la force, nous serons tous des esclaves de ses machines, de simples cartilages rattachant les dents de fer aux arbres de bronze ou d’acier ; si aux épargnes réunies dans les coffres des banquiers s’ajoutent sans cesse de nouvelles dépouilles gérées par des associés responsables seulement devant leurs livres de caisse, alors c’est en vain que vous feriez appel à la pitié, personne n’entendra vos plaintes. Le tigre peut se détourner de sa victime, mais les livres de banque prononcent des arrêts sans appel ; les hommes, les peuples