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centuple serrure. On nous dit toujours d’attendre l’œuvre du temps qui doit amener l’adoucissement des mœurs et la réconciliation finale, mais comment ce coffre-fort s’adoucira-t-il, comment s’arrêtera le fonctionnement de cette formidable mâchoire de l’ogre broyant sans cesse les générations humaines ?


Nous tous qui, pendant une vie déjà longue, avons vu les révolutions politiques se succéder, nous pouvons nous rendre compte de ce travail incessant de péjoration que subissent les institutions basées sur l’exercice du pouvoir. Il fut un temps où ce mot de « République » nous transportait d’enthousiasme : il nous semblait que ce terme était composé de syllabes magiques, et que le monde serait comme renouvelé le jour où l’on pourrait enfin le prononcer à haute voix sur les places publiques. Et quels étaient ceux qui brûlaient de cet amour mystique pour l’avènement de l’ère républicaine, et qui voyaient avec nous dans ce changement extérieur l’inauguration de tous les progrès politiques et sociaux ? Ceux-là même qui sont maintenant au pouvoir, ceux qui ont les places et les sinécures, ceux qui font les aimables avec les ambassadeurs russes et les barons de la finance. Et certes, je n’imagine pas que dans ces temps déjà lointains tous ces parvenus fussent en masse de purs hypocrites. Il y en avait bien quelques uns parmi eux, gens qui flairaient le vent et orientaient leur voile. Mais la plupart étaient sincères sans doute : ils croyaient à la République, et c’est de tout cœur qu’ils en acclamaient la trilogie Liberté, Égalité, Fraternité !