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ils repoussent le progrès en particulier. Ils trouvent que la société actuelle, toute mauvaise qu’elle est et qu’ils la voient eux-mêmes, est bonne à conserver ; il leur suffit qu’elle réalise leur idéal, richesse, pouvoir ou bien-être. Puisqu’il y a des riches et des pauvres, des puissants et des sujets, des maîtres et des serviteurs, des Césars qui ordonnent le combat et des gladiateurs qui vont mourir, les gens avisés n’ont qu’à se mettre du côté des riches et des maîtres, à se faire les courtisans des Césars. Cette société donne du pain, de l’argent, des places, des honneurs, eh bien ! que les hommes d’esprit s’arrangent de manière à prendre leur part, et la plus large possible, de tous les présents de la destinée ! Si quelque bonne étoile, présidant à leur naissance, les a dispensés de toute lutte en leur donnant en héritage le nécessaire et le superflu, de quoi se plaindraient-ils ? Ils se persuadent sans peine que tout le monde est aussi satisfait qu’ils le sont eux-mêmes. Pour l’homme repu, tout le monde a bien dîné. Quant à l’égoïste que la société n’a pas richement doté dès son berceau, du moins peut-il espérer de conquérir sa place par l’intrigue ou par la flatterie, par un heureux coup du sort ou même par un travail acharné mis au service des puissants. Comment s’agirait-il pour lui d’évolution sociale ? Évoluer vers la fortune est sa seule ambition ! Autant demander un cours de philosophie à des gamins qui se disputent des sous jetés d’un balcon par quelque facétieux bourgeois !

Mais il est cependant des timorés qui croient honnêtement à l’évolution des idées et qui néanmoins, par un sentiment de peur instinctive, veulent éviter toute révélation. Ils l’évoquent et la