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Un autre écrivain ayant à cœur sans doute de surpasser le précédent, ne s’est pas fait scrupule de travestir le nom du col d’Arrîous (Basses-Pyrénées)[1], — trop fréquemment orthographié par les auteurs « col d’Arrius », — en col de Darius !

Dans un ouvrage justement renommé et spécialement destiné aux voyageurs, une coquille, selon toute vraisemblance, a transformé l’arête qui domine l’Estan Tort — petit lac du massif de Tabe (département de l’Ariège), — dont les rives sont « tortues », en « crête de Stantor » !


D’autres altérations dialectiques, encore que partielles, ne sont pas moins répréhensibles. Il s’agit de certaines désignations locales, composées d’éléments hétérogènes qui devraient être impitoyablement proscrites de la nomenclature géographique.

Citons comme exemple le gouffre aragonais appelé, en France, Trou-du-Toro[2]. Cette dénomination hybride est formée, au mépris de toute logique, du mot « Trou » et de l’article « du » tirés du français, accolés au nom espagnol « Toro », qui, en réalité, devrait s’écrire torvo, car il signifie « horrible, terrible à voir ». La Balloungo, dans l’Ariège, est devenue la « Ballongue », c’est-à-dire une association bizarre du nom local bal « vallée » et du qualificatif français « longue ». De Barrinôou (dans la même contrée), composé des noms languedociens et catalans barri « faubourg » et nôou « neuf », on en fait « Barrineuf[2] »,. Cat-Loung (Hautes-Pyrénées) a été transformé en « Cap-Long », assemblage du mot pyrénéen cap, cat « tête » et de l’adjectif français « long », etc.

Il serait facile de multiplier ces citations si le cadre restreint de la présente notice ne m’obligeait de les abréger.


De la voyelle u et du son ou. — Prétextant que la prononciation française de l’u est inconnue dans les langues néo-latines, les anciens cartographes avaient coutume de remplacer généralement le son caractéristique ou, qui joue un rôle prépondérant dans les idiomes méridionaux, par la voyelle u. Pour justifier cette

  1. Arrîou, Rîou ; pl. Arrîous, Rîous ; lat. Rivus signifie « rivière, ruisseau ».
  2. a et b Émile Belloc. Les sources de la Garonne… (Annuaire du Club alpin français, Paris, 1896). — Voir du même auteur, Glaciers et cours d’eau souterrains du versant septentrional de la Maladeta (in Revue des travaux scientifiques…). Paris, Impr. nationale, 1896. — Voir encore du même, De Bagnères-de-Luchon aux Monts-Maudits (Annuaire du Club alpin français, Paris, 1897).