Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/102

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lité d’esprit et ne l’entretient comme la moquerie.

Il faut donc plutôt éviter que provoquer les occasions de se donner ou de confirmer en soi cette tendance. S’exercer à la moquerie, c’est avoir déjà et se conférer la volonté d’impuissance.

Cependant, il ne faut pas s’interdire tout à fait les livres des sots. C’est d’abord une catharsis. La catharsis est, comme on sait, l’art de se débarrasser sans danger d’un sentiment qui pourrait nuire, de s’en purger de telle sorte qu’il ne reste pas en nous pour nous torturer, ou qu’il ne s’exerce pas d’une manière mauvaise et funeste. Selon Aristote on se purge de la peur et de la pitié en les éprouvant, au théâtre, pour les malheurs de héros imaginaires, grâce à quoi elles ne demeurent pas en nous pour nous assombrir. Les acteurs savent qu’il faut avoir le trac, l’émotion paralysante, avant la représentation ou pendant la représentation, et ils disent : « Si on l’a avant, on ne l’a pas pendant ; on est purgé » ; et il est possible.

Or la moquerie exercée sur les mauvais livres est une catharsis. À l’exercer sur le mauvais livre, on lui donne satisfaction, et l’on n’a plus le besoin, peut-être, de l’exercer sur les personnes. C’est une soupape de sûreté. C’est la part du feu ; la malignité a eu son aliment ; elle se calme, elle s’apaise et elle ne nous anime plus.

J’ai dit « peut-être » ; car je n’en suis pas très sûr. Boileau est un exemple à l’appui de la