Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/128

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beautés ? — C’est-à-dire, reprit Martin, qu’il y a du plaisir à n’avoir pas de plaisir ? »

Au fond, je suis très bien de l’avis de Martin. Cependant il avait tort de croire absolument qu’il n’y a pas de plaisir à n’avoir pas de plaisir. Il y en a. Il y a précisément la jouissance qu’on éprouve à n’être de l’avis de personne. D’abord, c’est une attestation de supériorité que l’on se donne. « Que d’autres admirent tel ouvrage ; c’est affaire à eux ; c’est bien pour eux qu’il est écrit ; ils sont à sa hauteur, parce qu’il est à leur niveau. Mais moi… »

Je me rappelle encore de quel air un de mes amis, voyant la Dame aux Camélias affichée, me désignait l’affiche du bout de sa canne et me disait : « C’est beau, cette pièce-là ! ». Cela voulait dire : « Je suis parfaitement sûr que tu es assez philistin pour trouver cela beau ? » Or croyez-vous que cet homme ne jouissait pas ? Il jouissait de toute son âme.

Ensuite, c’est le plaisir d’offenser, de provoquer, c’est l’instinct de lutte. On connaît assez l’homme qui en politique est toujours de l’opposition. C’est un homme qui n’aime pas à approuver, et qui n’aime pas à approuver parce qu’il aime la dispute, la contradiction, la provocation, le défi, le regard hostile cherchant le regard hostile. Le mécontentement, c’est le désir de mécontenter. Le pococurante en littérature est un mécontent qui veut surtout qu’on soit, autour de lui, mécontent de son mécontentement. Maint homme est heureux de voir autour de lui des