Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/141

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il vous indique telle particularité qui vous est échappée ; vous rentrez chez vous ; vous ne songez guère qu’à relire le volume, tout au moins à le repasser en revue dans votre mémoire ; d’une façon ou d’une autre, vous le relisez, vous le revoyez sous un nouvel angle. C’est votre ami qui en est cause. Voilà le rôle du critique, et voilà le cas où le critique ne peut pas être nuisible, fût-il mauvais, puisqu’il ne fait que provoquer une révision ; et peut être très utile parce qu’il la provoque.

J’ai vécu pendant quelques années dans une société d’hommes très intelligents, très lettrés, de beaucoup de goût, très décisionnaires aussi, qui parlaient sans cesse des ouvrages nouveaux. Je les avais presque toujours lus avant qu’ils n’en parlassent et j’écoutais ces messieurs avec un très vif intérêt. Leurs décisions un peu tranchantes et leurs aperçus, extrêmement inattendus de moi, m’étonnaient et me donnaient beaucoup à penser. Je rentrais chez moi toujours avec le véritable besoin de relire le livre dont ils avaient parlé et de comparer mes impressions aux leurs. C’était un très grand profit ; je n’étais pas toujours, après révision, de leur avis  ; je n’en étais même jamais ; mais j’avais relu avec un esprit nouveau, et c’est cela qui est important. Je leur dois beaucoup.

Au bout d’un certain temps, à la vérité, ils cessèrent de m’être utiles, parce que je m’aperçus que de tous les livres dont ils parlaient, ils n’avaient