Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/27

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et de ce que nous savons mieux maintenant parce que nous venons de le rapprendre. Nous allons ainsi de la réalité à la fiction, et la fiction n’a de prix pour nous que si à nos yeux mêmes elle est pénétrée de réalité, et la réalité nous est plus intéressante quand nous y revenons après avoir traversé la fiction pénétrée d’elle.

Un autre critérium à juger la fiction et par conséquent à en jouir davantage si elle est bonne, c’est de regarder en nous-mêmes. On demandait à Massillon, très honnête homme : « Où prenez-vous donc la matière de toutes les peintures de vice que vous faites ? » Il répondit : « en moi-même ». Il est ainsi. Chacun de nous se suffirait presque pour peindre tous les vices et aussi toutes les vertus, s’il savait peindre ; pour reconnaître, du moins, la vérité de toutes les peintures de toutes les vertus et de tous les vices. Chacun de nous est un petit monde où le monde entier se voit en raccourci et est véritablement comme en germe, et le proverbe italien cité par Pascal est très exact : « Le monde entier est fait comme notre famille » et même comme nous. Or, ces semences de toutes les vertus et de tous les vices qui sont en nous, nous permettent très bien de juger ce qu’il y a de réalité dans les fictions. Une fiction, c’est toujours une partie de nous qui, aux mains de l’auteur, est devenue un personnage, une autre partie de nous qui est devenue un autre personnage, et ainsi de suite, et c’est encore le