Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus souvent par retour sur nous-mêmes que nous jugeons.

La lecture exige donc de nous que nous soyons capables d’analyse auto-psychologique, et il n’y a très bons lecteurs que ceux qui en sont capables. J’ai entendu une femme de trente ans dire : « Je n’ai jamais pu comprendre ce qu’on trouve d’intéressant dans Madame Bovary. » J’ai pensé à lui répondre : « Ce qu’on trouve d’intéressant dans Madame Bovary, c’est vous », car il n’y a pas de femme de trente ans, je ne dis point qui ne soit Madame Bovary, mais qui ne contienne en elle une Madame Bovary avec toutes ses aspirations et tous ses rêves et toute sa conception de la vie ; une Madame Bovary latente, qui n’éclora point, comprimée et déroutée par toutes sortes d’autres éléments psychiques, mais qui existe. Seulement la dame dont je parle, très en dehors, très étourdie, n’était pas capable de se discerner elle-même et ne pouvait démêler la Madame Bovary qui était en elle, comme, du reste, dans toutes les autres femmes.

Les étonnements mêmes que nous causent quelquefois les fictions, et je parle encore une fois de celles qui sont bonnes, nous amènent à des découvertes. Nous sommes étonnés, choqués, nous nous disons : « mais ce n’est pas vrai ! » Un je ne sais quoi nous avertit que peut-être ce n’est pas si faux que nous croyons ; nous nous interrogeons et il