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Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/37

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donne bien des satisfactions : celle d’abord de l’aimer ; celle ensuite de l’admirer un peu comme un noble exemplaire en somme de l’humanité ; celle ensuite de ne pas le craindre, encore qu’il ne fallût pas, à cet égard, avoir une pleine confiance ; celle enfin de lui donner ces fameux conseils de bon sens, de prudence, de sagesse pratique, qu’à donner nous nous épanouissons, nous nous élargissons, nous nous enorgueillissons et qui comblent de plaisir, de pleine satisfaction, de joie intime et profonde, du sentiment de la supériorité indulgente et bienfaisante, ceux de qui ils partent.

Les lecteurs de poètes ne sont pas très différents des lecteurs de romans idéalistes ; il y a pourtant quelque distinction à faire. Le lecteur des poètes n’est pas seulement un romanesque ; c’est un artiste ou un homme qui a des prétentions à être artiste. Il veut lire dans une « langue artiste », dans cette langue, comme a dit Musset, que le monde entend et ne parle pas et j’ajouterai que le monde n’entend même pas beaucoup. Le lecteur de poètes est un initié ou croit l’être et se flatte de l’être. Il y a entre les poètes et les lecteurs de poètes une franc-maçonnerie qui n’existe pas entre les romanciers et les lecteurs de romans.

Pour le poète, le lecteur des poètes est un homme qui a le chiffre. Et le lecteur des poètes sait qu’il a le chiffre ou il croit l’avoir. Aussi le lecteur de romans idéalistes n’est pas dédaigneux à l’ordinaire,