Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/38

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mais le lecteur des poètes l’est presque toujours. Il méprise ceux qui lisent les journaux ; il méprise un peu ceux qui lisent les livres pratiques et les livres d’histoire. Il ne doute point qu’il n’ait une âme de qualité supérieure, une âme nourrie du miel d’Hymette.

Il est rare qu’un lecteur de romans idéalistes écrive lui-même des romans ; il est rare, au contraire, que le lecteur de poètes ne fasse pas des vers lui-même. Il est du Parnasse. Je ne l’en dissuaderai pas, du reste. Dans les livres de philosophie, on va chercher des idées générales, dans les romans réalistes des observations, dans les romans idéalistes de beaux sentiments, dans les poètes tout cela et de plus des inventions de rythme, des trouvailles de mélodie, d’harmonie, toute une technique, qui ici, a autant d’importance que le fond ; et de cette technique on ne jouit, à cette technique on ne se plaît, à cette technique on ne se joue amoureusement, que si soi-même on s’en est mêlé, que si on s’y est essayé, que si l’on en a mesuré les difficultés, que si l’on y a atteint soi-même à quelques petits succès relatifs ; comme il n’y a que les musiciens qui comprennent la musique, et les autres, quand ils croient y entendre quelque chose, sont des snobs, il n’y a que les hommes qui ont été un peu versificateurs qui comprennent les poètes.

S’est-on assez moqué des vers latins qu’on nous faisait faire encore dans notre enfance ! Ils avaient