Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/49

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les uns aux autres, telle ou telle attitude, et ne peut faire bien qu’à ce prix ; tout de même le lecteur doit voir, comme si elle était représentée, la pièce qu’il lit et pour ainsi dire presque littéralement entendre les couplets et les répliques.

Pourvu que l’on ait été quelquefois au théâtre, on s’habitue vite à lire ainsi, et, si l’on s’y habitue, on arrive, assez vite aussi, à ne pouvoir plus lire autrement. Rien, du reste, n’est plus agréable, et ce spectacle dans un fauteuil n’a d’autre inconvénient que d’affaiblir un peu en nous le désir de voir jouer des pièces dans un théâtre surchauffé, trop odorant et incommode. On arrive par cette méthode, et c’est un petit excès, à voir, à travers le couplet d’un acteur, surtout la figure de celui qui ne parle pas et à qui le couplet est adressé, et c’est surtout Suréna qu’on suit des yeux pendant que Pompée a la parole, et la figure d’Orgon que l’on compose et que l’on contemple en la composant quand Donne le raille ou quand Cléonte le chapitre.

Cet excès n’a rien de très dangereux, puisqu’on peut, et c’est le grand avantage du spectacle dans un fauteuil, puisqu’on peut relire.

Cette méthode est tout à fait indispensable pour ce qui est du théâtre antique. Sans pousser cette sollicitude jusque une sorte de manie, il ne faut jamais oublier, en effet, que le théâtre antique est sculptural, que les personnages y forment des groupes harmonieux faits pour satisfaire les yeux amoureux