Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/66

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part de Molière, une légère faute au point de vue de la thèse à plaider puisqu’il la compromet ; mais l’erreur est plus grande encore de la part de ceux qui n’ont pas entendu qu’un homme de raison peut devenir à un moment donné un homme d’esprit et qui s’amuse. En résumé, sauf légères exceptions circonstancielles, on démêlera dans l’ouvrage d’un auteur dramatique ce qu’il pense lui-même en voyant à qui, dans la discussion, il donne « le raisonnement faible », comme disaient les sophistes ; à qui surtout il donne le raisonnement à quoi l’on ne répond rien, encore qu’à tout raisonnement on puisse répondre. Ceci même est la marque : puisqu’à tout raisonnement on en peut opposer un autre, que l’auteur, qui assurément pouvait faire répliquer Paul, lui fasse garder le silence, c’est le signe qu’il veut que ce soit Pierre qui soit hautement désigné par lui comme ayant raison.

Et, enfin, on distingue la pensée personnelle de l’auteur dramatique surtout à l’accent avec lequel un personnage parle. C’est ce qui trompe le moins. Personne ne doute, à la façon dont Suréna parle, que Corneille ne soit avec Suréna, et que Suréna ne jette au public la pensée même de Corneille. Personne ne doute que les Don Diègue et le vieil Horace ne soient le cœur même de Corneille.

Il y a des cas plus complexes. L’accent est aussi fort, en vérité, chez Polyeucte, chez Pauline et chez Sévère. C’est qu’il arrive, et c’est cela que pré-