Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/81

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laires, par où l’on voit la mouche parcourant toute la périphérie du champ d’activité, toute à tous, se multipliant et réalisant une ubiquité inutile et orgueilleuse.

Ainsi de suite. Faites ces observations ou des observations analogues, ou contraires ; mais faites-en pour tirer tout le parti possible des écrivains qui savent écrire en musique. Faites-en même sur ceux qui ne le savent point. Pourquoi ? Pour constater qu’ils ne le savent point et par là mieux apprécier ceux qui le savent.

Vous observerez peut-être que Delille, qui est extrêmement estimable comme versificateur, ne peut pas se lire à haute voix. D’où vient ? De ce qu’il peint et souvent très bien, mais ne chante pas. Il n’est pas musical ; il ne peint jamais par les sons. Corneille, admirablement oratoire, est musical très rarement. Ses vers lyriques eux-mêmes ont le mouvement et merveilleux (« Source délicieuse en misères fécondes… ») mais n’ont pas l’harmonie expressive. Il lui arrive cependant, comme à tout grand poète, d’atteindre à cette partie de l’art et il dira :

Et la terre et le fleuve et leur flotte et le port
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.


et il dira aussi :

Lui, sans aucun effroi, comme maître paisible,
Jetait dans les sillons cette semence horrible,
D’où s’élève aussitôt un escadron armé,
Par qui de tous côtés il se trouve enfermé,