Page:Émile Faguet - L'Art de lire.djvu/96

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quand on écrit, mais encore, certainement, n’être pas compris. Ce n’est nullement une objection contre un livre, quand il y a quelqu’un qui le trouve incompréhensible ; peut-être cela faisait-il partie du dessein de l’auteur de ne pas être entendu de n’importe qui. Tout esprit distingué, qui a un goût distingué, choisit ainsi ses auditeurs lorsqu’il veut se communiquer ; en les choisissant, il se gare contre les autres. Toutes les règles subtiles d’un style ont là leur origine : en même temps elles éloignent, elles créent la distance, elles défendent l’entrée ; en même temps elles ouvrent les oreilles de ceux qui nous sont parents par l’oreille. »

À la vérité, ce travail de Protée des auteurs difficiles, ce noli me tangere, noli me intelligere, est assez vain, puisqu’ils seront compris, adoptés, du moins « touchés » par ceux précisément, en majorité, par qui ils redoutent d’être entendus et dont ils craignent le contact, c’est-à-dire par les sots ; et ce sont ceux qui comprennent peu qui courent tout droit aux choses les plus difficiles à comprendre. Mais enfin tel est leur travail : ils se voilent, ils se masquent et ils se déguisent jusqu’au moment où ils se jugent impénétrables.

Or, ce travail qu’ils ont fait, faites-le à l’inverse et ramenez-les patiemment à la simplicité. Invertissez les inversions, tournez les termes impropres aux termes probablement justes, d’après le sens général du morceau, s’il en a un ; par une lecture attentive,