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Érasme de Rotterdam
à Martin Dorpius, excellent théologien
salut
Anvers, mois de mai 1515.

I. — Ta lettre ne nous a pas été remise, mais pourtant un ami m’en a montré à Anvers une copie, qu’il avait reçue je ne sais comment. Tu déplores l’édition peu opportune de la Folie, tu approuves fort notre zèle à restituer le texte de Jérôme, tu nous détournes de l’édition du Nouveau Testament. Cette lettre de toi, mon Dorpius, est si loin de m’avoir le moins du monde offensé, que tu m’es devenu depuis beaucoup plus cher, bien que tu m’aies été toujours très cher, tant il y a de sincérité dans tes conseils, d’amitié dans tes avis, de tendresse dans tes objurgations. C’est le propre de la charité chrétienne, même lorsqu’elle est le plus sévère, de garder la saveur de sa douceur native. On me remet chaque jour beaucoup de lettres d’érudits, qui me nomment la gloire de la Germanie, qui me comparent au soleil et à la lune, et qui m’accablent plutôt qu’ils ne me parent des titres les plus splendides. Que je meure, si jamais une de ces lettres m’a fait autant de plaisir que la lettre d’objurgation de mon Dorpius ! Paul a eu raison de dire que la charité ne pèche pas : si elle flatte, c’est qu’elle tâche d’être utile ; si elle se fâche, ce n’est point dans un but différent.


II. — Et plût au ciel qu’il me fût permis de répondre à loisir à ta lettre, pour m’acquitter envers un ami tel que toi ! Je désire vivement que tout ce que je fais recueille ton approbation. Je fais un si grand cas de ton esprit presque céleste, de ton érudition unique, de ton juge-