Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/123

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publication du texte de Jérôme. Ils ne sont pas beaucoup plus justes envers Basile, Chrysostome, Naziance qu’envers nous, sauf qu’ils se déchaînent plus librement contre nous ; quelquefois d’ailleurs, dans leur irritation, ils ne craignent pas de traiter indignement ces lumineux esprits. Ils redoutent les belles-lettres, et ils tremblent pour leur tyrannie. Pour que tu te rendes compte que mes pressentiments ne sont pas téméraires, je te dirai que quand j’eus commencé mon ouvrage et que le bruit s’en fut répandu, des hommes qui passent pour pondérés et qui se croient des théologiens remarquables accoururent supplier l’imprimeur, par tout ce qu’il y a de sacré, de n’admettre ni grec ni hébreu, car ces écrits présentaient un immense danger sans aucun avantage et n’étaient bons qu’à satisfaire la curiosité. Quelque temps auparavant, comme j’étais en Angleterre, le hasard fit que je me trouvai à table avec un franciscain, partisan du premier Scot, qui passe aux yeux de la foule pour très savant, et aux siens pour ne rien ignorer. Quand je lui eus exposé ce que je voulais faire pour Jérôme, il fut vivement étonné qu’il y eût dans les livres de ce dernier quelque chose que des théologiens ne comprissent pas : or c’était un homme si ignorant que je me demande si, dans tous les ouvrages de Jérôme, il comprenait trois lignes comme il faut. Le savoureux personnage ajoutait que, si j’étais embarrassé pour mes notices sur Jérôme, Briton avait tout expliqué lumineusement. Je te le demande, mon cher Dorpius, que peut-on faire avec de tels théologiens, ou que peut-on leur souhaiter d’autre qu’un sûr médecin qui guérisse leur cerveau ? Et pourtant ce sont quelquefois des gens de cette farine qui, dans une assemblée de théologiens, crient le plus fort ; ce sont eux qui prononcent sur le Christianisme. Ils redoutent et abhorrent, comme un danger mortel et comme un fléau, ce que saint Jérôme, ce qu’Origène lui-même, dans sa vieillesse, a acquis à force de sueurs pour être vraiment un théologien. Augustin, déjà évêque et déjà vieux, déplore dans les livres de ses Confessions d’avoir reculé, étant jeune, devant des études qui, pour l’explication des saintes Écritures, auraient pu lui être si utiles. S’il y a danger, je ne craindrai pas un péril que des hommes si sages ont affronté. S’il y a curiosité, je ne saurais être plus saint que Jérôme, laissant juges de l’honneur qu’ils lui font ceux qui traitent de curiosité ce qu’il fit.