Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/27

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dieux de la poésie, dont la foule est si grande que l’Olympe, tout spacieux qu’il soit, la contient à peine.


XII. — Mais ce serait peu de me montrer à vous Semence et Source de la vie, si je n’ajoutais que tout ce qu’il y a de bon en elle, vous me le devez également.

Que serait la vie, en effet, et mériterait-elle son nom, si le plaisir manquait ? Vos applaudissements m’assurent que je dis vrai. Pas un de vous n’est assez sage, ou plutôt assez fou, — non, disons assez sage, — pour être d’un autre avis. Ces fameux Stoïciens eux-mêmes ne dédaignent nullement le plaisir. Ils ont beau s’en cacher et lui décocher mille injures devant la foule, c’est pour en détourner les autres et s’en donner plus à l’aise. Qu’ils l’avouent donc, par Jupiter ! Toute heure de la vie serait triste, ennuyeuse, insipide, assommante, s’il ne s’y joignait le plaisir, c’est-à-dire si la Folie n’y mettait son piquant. Je peux invoquer ici le témoignage de Sophocle, jamais assez loué, qui dit à mon sujet : « Moins on a de sagesse, plus on est heureux. » Mais allons en détail au fond du débat.


XIII. — Qui ne sait que le premier âge est le plus joyeux et le plus agréable à vivre ! Si nous aimons les enfants, les baisons, les caressons, si un ennemi même leur porte secours, n’est-ce pas parce qu’il y a en eux la séduction de la Folie ? La prudente Nature en munit les nouveau-nés pour qu’ils récompensent en agrément ceux qui les élèvent et qu’ils se concilient leur protection. À cet âge succède la jeunesse. Comme elle est fêtée de tous, choyée, encouragée, toutes les mains tendues vers elle ! D’où vient le charme des enfants, sinon de moi, qui leur épargne la raison, et, du même coup, le souci ? Dis-je vrai ? Quand ils grandissent, étudient et prennent l’usage de la vie, leur grâce se fane, leur vivacité languit, leur gaîté se refroidit, leur vigueur baisse. À mesure que l’homme m’écarte, il vit de moins en moins. Enfin, voici l’importune vieillesse, à charge à autrui comme à elle-même, et que personne ne pourrait supporter, si je ne venais encore secourir tant de misères.

Comme font, chez les poètes, les Dieux qui sauvent de la mort par une métamorphose, je ramène au premier âge les vieillards voisins du tombeau. On dit d’eux fort justement qu’ils sont retombés en enfance. Je n’ai pas à cacher comment j’opère. La fontaine de ma