Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tant de parjures, de débauches, d’ivrogneries, de rixes, de meurtres, d’impostures, de perfidies et de trahisons, rachat si parfait, croient-ils, qu’ils pourront librement recommencer ensuite la série de leurs scélératesses.

Quoi de plus fou, que dis-je ? quoi de plus heureux que ces autres qui récitent quotidiennement sept petits versets du saint Psautier et s’en promettent la félicité des élus ! Or, ces petits versets magiques, un certain diable, par facétie, les aurait indiqués à saint Bernard, étant au reste plus étourdi que malin, puisqu’il fut pris à son propre piège. Et de pareilles folies, dont j’ai moi-même presque honte, ce n’est pas seulement le vulgaire qui les approuve, ce sont aussi des professeurs de religion.

Inspiré du même esprit, chaque pays réclame pour son usage un saint particulier. Il lui confère des attributions propres, établit ses rites distincts. Il en faut un pour guérir le mal de dents, un autre pour délivrer les femmes en couches ; il y a celui qui retrouve les objets volés, celui qui apparaît au naufragé et le sauve, celui qui protège les troupeaux, et ainsi des autres, car l’énumération n’en finirait pas. Certains cumulent les pouvoirs, particulièrement la Vierge mère de Dieu, à qui le commun des hommes en attribue presque plus qu’à son Fils.


XLI. — Mais que sollicite-t-on de ces saints, sinon ce qui concerne la Folie ? Lisez tous les ex-voto qui, dans certains temples, couvrent les murs jusqu’à la voûte ; personne n’a jamais demandé la guérison de la folie ou d’acquérir un poil de sagesse. Celui-ci s’est sauvé à la nage, celui-là a survécu aux blessures du combat ; celui qui a fui pendant la bataille, laissant les autres l’achever, dit sa chance et son courage ; celui qui a tâté de la potence, fait honneur de sa délivrance à quelque saint propice aux voleurs, et pourra recommencer à soulager le prochain encombré de sa richesse. Il y a l’homme qui a brisé les portes de sa prison, celui qui a guéri de sa fièvre, à la grande irritation du médecin, celui qui, ayant avalé le poison, l’a rendu par le bas et s’en est purgé sans en mourir, ce qui fait que sa femme a perdu sa peine et son argent. Il y a celui dont la voiture a versé et qui a ramené chez lui ses chevaux sains et saufs, celui qui a été retiré vivant des décombres, celui qui, pincé par le mari, s’est échappé. Pas un ne rend grâces d’être délivré d’une folie. Il est donc bien doux d’être