Page:Érasme - Éloge de la folie, trad de Nolhac, 1964.djvu/86

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me parer de l’habit théologique ! Mais je redoute qu’on m’accuse de larcin et de pillage clandestin dans les cassettes de nos docteurs, quand on me verra si forte en théologie. Il n’est pourtant pas étonnant qu’étant depuis si longtemps de leur intime compagnie j’aie attrapé quelque chose de leur savoir : Priape, dieu de figuier, a bien noté et retenu quelques mots grecs de ce que son maître lisait devant lui ; et le coq de Lucien, à force de fréquenter les hommes, n’a-t-il pas appris le langage humain ? Commençons donc sous de bons auspices.

« Le nombre des fous est infini », écrit l’Ecclésiaste, au chapitre premier. Ce mot paraît bien embrasser tous les hommes, sauf quelques-uns qu’on n’aperçoit guère. Jérémie est plus explicite encore, au chapitre X : « Tout homme devient fou par sa propre sagesse. » Dieu seul est sage, selon lui, l’humanité entière étant folle. Il dit un peu plus haut : « Que l’homme ne se glorifie point de sa sagesse ! » Pourquoi le lui interdis-tu, brave Jérémie ? Tout simplement, répondra-t-il, parce que l’homme n’a pas de sagesse. Mais revenons à l’Ecclésiaste : « Vanité des vanités, s’écrie-t-il, et tout est vanité ! » Qu’entend-il ici, sinon que la vie humaine, selon ma formule, n’est qu’un jeu de la Folie ? C’est un caillou blanc qu’il joint pour moi à la magnifique louange cicéronienne déjà citée : « Le monde est rempli de fous. » Que signifie encore cette parole du docte Ecclésiastique : « Le fou change comme la lune, le sage demeure comme le soleil ? » Tout simplement que le genre humain est fou et que Dieu immuable a seul l’attribut de la Sagesse ; car la nature humaine est figurée par la lune et Dieu par le soleil, source de toute lumière. Le Christ lui-même, dans l’Évangile, ajoute que Dieu seul doit être appelé bon : si sagesse et bonté, comme le veulent les Stoïciens, sont des termes identiques, et si quiconque n’est pas sage est fou, tout ce qui est mortel dépend nécessairement de la Folie.

Salomon dit encore au chapitre XV : « Sa folie fait la joie du fou », reconnaissant manifestement que, sans folie, la vie n’a aucun charme. À la même idée se rapporte ce passage : « Qui ajoute à la science ajoute à la douleur ; plus on connaît, plus on s’irrite. » L’excellent discoureur n’a-t-il pas exprimé une pensée semblable au chapitre VII : « Le cœur des sages est avec la tristesse, le cœur des fous avec la joie. » C’est pourquoi il ne lui a pas suffi d’approfondir la Sagesse, il a voulu faire aussi