Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/19

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dispensatrice de tous biens, la Folie, que les Latins appellent Stultitia et les Grecs Μωρία. J’aurais pu me dispenser de vous le dire, car si j’en crois le public, je porte ma personnalité écrite en toutes lettres sur mon front. Si quelqu’un s’avisait de me prendre pour Minerve ou la Sagesse, mon seul aspect le détromperait bien vite, sans même qu’il me fût nécessaire de faire usage de la parole, ce miroir si menteur des mouvements de l’âme. Pas de fard sur ma figure, elle ne dit rien qui ne soit dans mon cœur. Partout et toujours on me trouve identique à moi-même ; personne ne parvient à me dissimuler, pas même ceux qui mettent toute leur ambition à passer pour des sages. Ils ont beau faire, ils ne seront jamais que des singes sous la pourpre et des ânes sous la peau du lion. Quelque soin qu’ils apportent à leurs rôles, un bout d’oreille décèle à la fin la tête de Midas. Par Hercule ! cette espèce d’hommes est bien ingrate à mon endroit. C’est chez eux que je trouve mes sectateurs les plus fidèles, et cependant ils rougissent à ce point d’en avouer le nom, qu’ils le jettent aux autres comme une injure. Ces maîtres-fous, qui veulent passer pour autant de Thalès, ne méritent-ils pas vraiment qu’on les nomme morosophes, c’est-à-dire sagement fous ? Je parle grec, comme vous voyez, c’est que je veux imiter nos rhéteurs qui se croient des dieux pour peu qu’ils montrent deux langues comme la sangsue selon Pline, et se targuent, comme d’un exploit mémorable, d’avoir introduit dans leurs factums une mosaïque de centons grecs et