Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/20

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latins ; sans s’inquiéter d’ailleurs de l’à-propos de la chose. Ignorent-ils les langues étrangères ? Nos hommes ne sont pas embarrassés pour si peu ; ils se bornent alors à tirer de quelque bouquin moisi quatre ou cinq vieux mots avec lesquels ils éblouissent leurs auditeurs. — Ceux qui les comprennent se félicitent d’être assez érudits pour cela ; ceux qui ne les comprennent pas, les admirent d’autant plus qu’ils sont plus ignorants. Car, il faut que vous le sachiez, mes fidèles acceptent d’autant plus volontiers une chose, qu’elle vient de plus loin, et ce n’est pas un de leurs minces plaisirs. Que si, parmi eux, quelque vaniteux veut absolument se poser en savant ; un sourire, un applaudissement, un mouvement d’oreille à la manière des ânes, suffit amplement pour faire croire aux autres qu’il est à la hauteur de la chose, bien qu’au fond il n’en soit rien.

Mais revenons à nos moutons. En quels termes vais-je vous interpeller ? — Vous dirai-je citoyens ? — Mais encore faut-il une épithète ? Pourquoi pas maîtres-fous ? Je m’en tiens là ; la Folie ne peut saluer ses adhérents d’un titre plus honorable. Donc, maîtres-fous, comme il en est parmi vous qui ignorent ma généalogie, je vais vous l’exposer avec l’assistance des Muses.

Ma naissance, je ne la dois ni au Chaos, ni à Saturne, ni à Jupiter, ni à quelque autre de ces dieux pourris de vétusté. Plutus m’a engendré ; — Plutus, le père des dieux et des hommes, quoi qu’en puissent dire Homère, Hésiode et le grand Jupin lui-même ; — Plu-