Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/33

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qu’Hercule me confonde si je puis m’empêcher d’en rire ; mais il vaut mieux me taire comme Harpocrate, car quelque dieu mal avisé n’aurait qu’a m’entendre et m’infliger le châtiment de Momus ?

Comme le dit Homère, il est temps de laisser les plaines éthérées ; revenons sur la terre, que je vous montre que là aussi rien d’agréable ni d’heureux n’arrive sans mon intervention. Remarquons tout d’abord combien la nature, en mère prévoyante, a pris soin que tout ici-bas fût assaisonné d’un grain de folie. J’admets, si l’on veut, avec les stoïciens, que la sagesse consiste à suivre la raison, et la folie, au contraire, à suivre ses passions ; mais, n’est-ce pas justement pour égayer la vie, que les dieux nous ont donné plus de folie que de sagesse, et ce dans une très-forte proportion ! Ils ont relégué la raison dans un tout petit coin du cerveau ; les passions, au contraire, règnent dans tout le reste du corps. À la raison sont opposés deux antagonistes redoutables : la colère, qui a le siége de son empire au cœur, aux sources mêmes de la vie, et la lubricité qui étend bien au delà sa prépondérance. Ce que peut la raison avec une pareille organisation, le train ordinaire de la vie nous le montre ; en vain elle s’enroue à indiquer le droit sentier, on ne l’écoute pas ; ses sujets se révoltent contre cette prétendue reine et crient plus fort qu’elle, si bien que fatiguée, un jour elle cède, et lâche la bride à tous les écarts.

Cependant, comme l’homme était destiné aux affaires, il était nécessaire qu’il eût au moins une once de raison pour s’en tirer à