Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/48

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devez les agréments de la vie, c’est d’elle que vous vient le plaisir par excellence, le plaisir de jouir de la folie des autres.

Je vous ai montré à quel titre m’appartient le patronage de la gloire et des arts ; vous ne serez pas surpris si je revendique encore celui de la prudence. La prudence chez vous, va-t-on m’objecter, mais c’est vouloir démontrer que l’eau peut se mêler au feu ! J’espère cependant arriver à établir mes droits de ce côté ; si, comme vous l’avez fait jusqu’ici, vous me prêtez attentivement vos esprits et vos oreilles.

En premier lieu, s’il est vrai que la prudence consiste surtout dans l’usage qu’on fait des choses ; qui des deux mérite qu’on lui attribue cette vertu, du soi-disant sage, qui, partie par réserve, partie par timidité, n’ose rien entreprendre ; ou du fou qui, sans s’arrêter à la réserve qu’il ignore ou au danger qu’il ne reconnaît pas, va tout droit devant lui ? Enfoui dans les livres des anciens, le sage n’en retire que des combinaisons de mots ; le fou, au milieu du tourbillon des affaires et de leurs périls, acquiert, si je ne me trompe, la véritable prudence. Il semble qu’Homère, tout aveugle qu’il était, ait vu cette vérité lorsqu’il disait : « Le fou prend des leçons à ses dépens. » Deux obstacles sont à vaincre pour arriver à l’expérience : la timidité, qui obscurcit les idées et amoindrit les moyens, et la crainte qui, en exagérant les dangers, détourne des grandes actions. La folie pare merveilleusement à tous les deux. Il est peu d’hommes capables de bien comprendre ce