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Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/49

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qu’il y a d’avantageux à ne plus rougir et à ne reculer devant rien. Peut-être y en a-t-il encore parmi vous qui préfèrent cette prudence, qui consiste à chercher par la réflexion la juste valeur des choses ; je vais vous apprendre combien ils sont loin de la réalité, alors qu’ils se font gloire d’y atteindre.


Comme les Silènes d’Alcibiade, les choses humaines ont deux faces qui ne se ressemblent guère. Souvent, ce qu’à en juger seulement par l’extérieur, on eût pris pour la mort, est la vie en réalité, si on sonde l’intérieur. Ici-bas, presque toujours, on prend le beau pour le laid, la misère pour l’opulence, l’infamie pour la gloire et l’ignorance pour la science. On voit la force dans la faiblesse, la grandeur d’âme dans la bassesse, la gaieté dans la tristesse, la faveur dans la disgrâce, l’amitié dans la haine. Bref, ouvrez le Silène et tout est changé. Mais je vous parle trop en philosophe, j’en ai peur ; je vais épaissir mes arguments, afin que vous les saisissiez plus facilement.

Qu’est-ce qu’un roi au dire de chacun ? Un mortel très-riche et tout-puissant. Mais si son âme, vide de belles qualités, n’est pas satisfaite des trésors qu’il possède, n’est-il pas bien pauvre en réalité ? Si la foule de ses passions le domine, n’est-il pas esclave ? — Il nous serait loisible de philosopher de la même manière sur chaque chose de ce monde, mais cet exemple suffit amplement. À quoi bon tout cela ? me direz-vous. Vous allez voir. — Celui qui s’aviserait d’arracher leurs masques aux