Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/51

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de vertu sans laquelle il n’est point de véritable noblesse. » Bref, s’il apportait le même esprit critique dans toutes les choses de la vie, que gagnerait-il à tous ces beaux discours ? Ne serait-ce pas lui qui passerait pour un furieux et un extravagant ? Croyez-moi, la sagesse inopportune est de la folie, comme la prudence malencontreuse est de l’imprudence. Or, j’appelle malencontreuse celle qui ne sait s’accommoder ni au temps ni aux circonstances, qui méconnaît la grande loi du festin : Buvez ou allez-vous en, et veut, en définitive, que la comédie d’ici-bas soit plus qu’une comédie. La vraie prudence pour un mortel, c’est de voir juste la dose de sagesse que comporte la nature humaine sans aller au delà, et de dissimuler son sentiment sur les erreurs de la multitude, s’il ne peut les partager. Mais c’est folie toute pure ce que vous nous recommandez là, me direz-vous encore ! — J’en conviens, pourvu que vous conveniez aussi que c’est ainsi que se passent les choses sur le théâtre de votre monde.


Dieux immortels, dois-je achever ce qui me reste à dire ? — Pourquoi hésiter, puisque c’est la vérité ? — Mais avant d’aborder un pareil sujet, ce serait bien le cas, il me semble, d’appeler à mon aide les muses de l’Hélicon que les poëtes invoquent si souvent pour rien. Descendez donc un moment pour la circonstance, filles du puissant Jupiter ! inspirez-moi, afin que je prouve clairement qu’on ne peut arriver à cette sagesse dont on fait l’asile du bonheur, qu’en prenant la Folie pour guide.