Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/50

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acteurs en scéne et de les réduire à leurs figures naturelles, ne troublerait-il pas la pièce ! Ne courrait-il pas grands risques d’être chassé du théâtre comme un extravagant ? Il n’en est pas moins vrai qu’il aurait tout changé de face, la femme ne serait plus qu’un homme et l’adolescent un vieillard. Sous le monarque dépouillé de sa couronne apparaîtrait un faquin, et sous le grand dieu un pygmée. Mais en détruisant ainsi l’illusion, il aurait détruit en même temps l’intérêt tout entier de la pièce, car les déguisements et le fard retiennent seuls l’attention du spectateur. Or, qu’est-ce que la vie, sinon une sorte de comédie où chacun remplit son rôle sous un déguisement qu’il change souvent, si souvent que roi tout à l’heure sous la pourpre, le même acteur reparaît l’instant d’après esclave sous des haillons, jusqu’à ce qu’enfin l’impressario le force à quitter la scène ! Telle est, sur ce monde sans consistance, la farce qui se joue chaque jour.

Supposons qu’un sage tombe tout à coup du ciel au beau milieu de notre théâtre, et qu’il s’écrie : « Celui que vous honorez comme un dieu, comme votre maître, n’est pas même un homme, ce n’est qu’une brute, puisqu’il se laisse conduire par ses instincts ; un esclave, puisqu’il se courbe devant tant de maîtres méprisables. » À cet homme qui pleure la mort de son père, s’il disait : « Réjouis-toi ! ton père a commencé à vivre, car la vie d’ici-bas c’est la mort ! » À ce noble tout fier de son blason, s’il disait : « Tu n’es qu’un bâtard et qu’un roturier, puisque tu manques complétement