Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/64

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quet, fait dire à Alcibiade que la vérité se montre surtout dans l’ivresse et dans l’enfance ; je n’en soutiens pas moins qu’elle est avant tout mon apanage, car comme le dit fort bien Euripide : « Le fou dit des folies ; son cœur, son visage et sa bouche sont toujours d’accord ». Tel n’est point le sage, c’est encore Euripide qui le dit : « Le sage a deux langues, l’une qui dit la vérité, l’autre qui parle le langage des circonstances. » C’est à lui que revient la palme pour changer le blanc en noir, pour souffler tour à tour le froid et le chaud, et receler dans son cœur le contraire de ce qu’il met dans ses discours.

On se plaît à vanter le bonheur des rois, mais ils me semblent vraiment à plaindre, de n’avoir près d’eux personne qui leur dise la vérité, et de ne pouvoir choisir leurs amis que parmi les flatteurs. À cela on me répondra que les princes n’aiment pas la vérité et que c’est là ce qui leur fait fuir la société des sages ; ils craignent toujours que l’un d’eux, plus hardi que les autres, ne s’ingénie à leur dire plutôt des choses vraies que des choses agréables. La vérité, j’en conviens, est odieuse aux rois, mais c’est ce qui rend d’autant plus remarquable le plaisir avec lequel ils acceptent de mes fous, je ne dirai pas des vérités, mais de belles et bonnes injures. Le même mot qui, dans la bouche d’un sage, eût été un crime capital, devient dans la leur plaisanterie pleine de charmes. La vérité, lorsqu’elle ne blesse pas, a la vertu native de plaire ; or aux fous seuls les dieux ont accordé le privilége de la dire sans blesser. C’est par