Page:Érasme - Éloge de la folie.djvu/65

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cette raison ou quelque chose d’approchant, que les fous réussissent si bien près des femmes, toutes portées par nature, comme chacun sait, aux plaisirs et aux futilités. Les femmes, du reste, trouvent un véritable avantage dans ce genre de commerce ; elles font passer comme jeux et badinages tout ce qu’elles se permettent avec eux, bien que souvent ce soit en fait, pour elles, tout ce que la vie a de sérieux. Mais elles sont si ingénieuses, surtout lorsqu’il s’agit de pallier leur sottise !

Revenons au bonheur des fous et récapitulons : ils passent leur vie au milieu des plaisirs ; sans crainte comme sans pressentiment de la mort, ils s’envolent droit aux Champs-Élysées, où ils amusent encore la sainte oisiveté des âmes pieuses. Rapprochons de cette destinée celle de tel sage qu’il vous plaira. Prenons ce philosophe qui a flétri son enfance et sa jeunesse par l’étude de toutes sciences ; qui a usé la plus belle partie de sa vie à veiller, réfléchir et travailler. Le plaisir, il n’y a jamais goûté ; toujours sobre, toujours pauvre, jamais gai, jamais affable, dur et inflexible pour lui-même, sévère et sans indulgence pour les autres ; pâle, maigre, valétudinaire, presque aveugle, il sent la vieillesse et ses infirmités s’avancer avant l’heure prescrite, et avant l’heure aussi, il sort de la vie, bien qu’à vrai dire la mort doit assez peu importer à qui n’a jamais vécu. Voilà pourtant la biographie d’un sage !

Mais j’entends coasser les grenouilles du Portique. Rien au monde, objectent-elles, n’est