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La civilisation, cette lumière, peut être éteinte par deux modes de submersion ; deux invasions lui sont dangereuses, l’invasion des soldats et l’invasion des prêtres.

L’une menace notre mère, la patrie ; l’autre menace notre enfant, l’avenir.


III


Deux inviolabilités sont les deux plus précieux biens d’un peuple civilisé, l’inviolabilité du territoire et l’inviolabilité de la conscience.

Le soldat viole l’une, le prêtre viole l’autre.

Il faut rendre justice à tout, même au mal ; le soldat croit bien faire, il obéit à sa consigne ; le prêtre croit bien faire , il obéit à son dogme ; les chefs seuls sont responsables. Il n’y a que deux coupables. César et Pierre ; César qui tue, Pierre qui ment.

Le prêtre peut être de bonne foi ; il croit avoir une vérité à lui, différente de la vérité universelle. Chaque religion a sa vérité, distincte de la vérité d’à côté ; cette vérité ne sort pas de la nature, entachée de panthéisme aux yeux des prêtres j elle sort d’un livre. Ce livre varie. La vérité qui sort du talmud est hostile à la vérité qui sort du koran. Le rabbin croit autrement que le marabout, le fakir contemple un paradis que n’aperçoit pas le caloyer, et le Dieu visible au capucin est invisible au derviche. On me dira que le derviche en voit un autre ; je l’accorde, et j’ajoute que c’est le même ; Jupiter, c’est Jovis, qui est Jova, qui est Jéhovah ; ce qui n’empêche pas Jupiter de foudroyer Jéhovah, et Jéhovah de damner Jupiter ; Fô excommunie Brahmâ, et Brahmâ anathématise Allah ; tous les dieux se revomissent les uns les autres ; toute religion dément la religion d’en face ; les clergés flottent dans tout cela, se haïssant, tous convaincus, à peu près ; il faut les plaindre et leur conseiller la fraternité. Leur pugilat est pardonnable. On croit ce qu’on peut, et non ce qu’on veut. Là est l’excuse de tous les cierges ; mais ce qui les excuse les limite. Qu’ils vivent, soit ; mais qu’ils n’empiètent pas. Le droit au fanatisme existe, à la condition de ne pas sortir de chez lui ; mais dès que le fanatisme se répand au dehors, dès qu’il devient véda, pentateuque ou syllabus, il veut être surveillé. La création s’offre à l’étude de l’homme ; le prêtre déteste cette étude et tient la création pour suspecte ; la vérité latente dont le prêtre dispose contredit la vérité patente que l’univers propose. De là un conflit entre la foi et la raison. De là, si le clergé est le plus fort, une voie de fait du fanatisme sur l’intelligence. S’emparer de l’éducation, saisir l’enfant, lui remanier l’esprit, lui repétrir le