Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/282

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


18.

Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien ; et ils ne sauroient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes ; ni force pour le posséder sûrement. Il en est de même de la science, car la maladie l’ôte. Nous sommes incapables et de vrai et de bien.


19.

Qu’est-ce que nos principes naturels, sinon nos principes accoutumés ? Et dans les enfans, ceux qu’ils ont reçus de la coutume de leurs pères, comme la chasse dans les animaux ?

Une différente coutume en donnera d’autres principes naturels. Cela se voit par expérience : et s’il y en a d’ineffaçables à la coutume, il y en va aussi de la coutume contre la nature, ineffaçables à la nature et à une seconde coutume. Cela dépend de la disposition.

Les pères craignent que l’amour naturel des enfans ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. Pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ? J’ai bien peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.


20.

Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours ; et si un artisan étoit sûr de rêver toutes les nuits, douze heures durant, qu’il est roi je crois qu’il seroit presque aussi heureux qu’un roi qui rêveroit toutes les nuits, douze heures durant, qu’il seroit artisan.

Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis, et agités par ces fantômes pénibles, et qu’on passât tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait voyage, on souffriroit presque autant que si cela étoit véritable, et on appréhenderait de dormir, comme on appréhende le réveil quand on craint d’entrer dans de tels malheurs en effet. Et en effet il feroit à peu près les mêmes maux que la réalité. Mais parce que les songes sont tous différens, et qu’un même se diversifie, ce qu’on y voit affecte bien moins que ce qu’on voit en veillant, à cause de la continuité, qui n’est pourtant pas si continue et égale qu’elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n’est rarement, comme quand on voyage ; et alors on dit : « Il me semble que je rêve ; » car la vie est un songe un peu moins inconstant.


21.

Contre le pyrrhonisme.—… Nous supposons que tous les conçoivent de même sorte : mais nous le supposons bien gratuitement ; car nous n’en avons aucune preuve. Je vois bien qu’on applique ces mots dans les mêmes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient un corps changer de place, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par le même mot, en disant l’un et l’autre qu’il s’est mû ; et de cette conformité d’application on tire une puissante conjecture d’une conformité d’idée ; mais cela n’est pas absolument convaincant, de la dernière conviction, quoiqu’il y ait bien à parier pour l’affirmative ; puisqu’on