Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/346

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5.

Les juifs charnels n’entendoient ni la grandeur ni l’abaissement du Messie prédit dans leurs prophéties. Ils l’ont méconnu dans sa grandeur comme quand il dit que le Messie sera seigneur de David, quoique son fils ; qu’il est devant Abraham, et qu’il l’a vu. Ils ne le croyoient pas grand, qu’il fût éternel : et ils l’ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. « Le Messie, disoient-ils, demeure éternellement et celui-ci dit qu’il mourra. » Ils ne le croyoient donc ni mortel, ni éternel : ils ne cherchoient en lui qu’une grandeur charnelle.

Les juifs ont tant aimé les choses figurantes, et les ont si bien attendues, qu’ils ont méconnu la réalité, quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.


6.

Ceux qui ont peine à croire, en cherchent un sujet en ce que les juifs ne croient pas. « Si cela étoit si clair, dit-on, pourquoi ne croyoient-ils pas ? » Et voudroient quasi qu’ils crussent, afin de n’être pas arrêtés par l’exemple de leur refus. Mais c’est leur refus même qui est le fondement de notre créance. Nous y serions bien moins disposés, s’ils étoient des nôtres. Nous aurions alors un plus ample prétexte. Cela est admirable, d’avoir rendu les juifs grands amateurs des choses prédites, et grands ennemis de l’accomplissement.


7.

Raison pourquoi figures. — Il falloit que, pour donner foi au Messie, il y eût eu des prophéties précédentes, et qu’elles fussent portées par des gens non suspects, et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire, et connu de toute la terre.

Pour faire réussir tout cela, Dieu a choisi ce peuple charnel, auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie, comme libérateur, et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimoit ; et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes, et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie, assurant toutes les nations qu’il devoit venir, et en la manière prédite dans leurs livres, qu’ils tenoient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple, déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie, a été son plus cruel ennemi. De sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser, et le plus exact qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes, qui les porte incorrompus.


8.

Que pouvoient faire les juifs, ses ennemis ? S’ils le reçoivent, ils le prouvent par leur réception, car les dépositaires de l’attente du Messie le reçoivent ; et s’ils le renoncent, ils le prouvent par leur renonciation[1].

C’est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel, dont ce peuple étoit ennemi, sous le charnel, dont il étoit ami. Si le sens spirituel eût été découvert, ils n’étoient pas capables de l’aimer ; et, ne pouvant le porter, ils n’eussent pas eu le zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies. Et, s’ils avoient aimé ces

  1. Car d’après les Écritures, le Messie devait être renoncé.