Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/396

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Pour faire que les membres soient heureux, il faut qu’ils aient une volonté, et qu’ils la conforment au corps.

Raison des effets. — La concupiscence et la force sont la source de toutes nos actions : la concupiscence fait les volontaires ; la force, les involontaires.


60.

Philosophes. — ... Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes, et ils ne connoissent pas leur corruption. S’ils se sentent pleins de sentimens pour l’aimer et l’adorer, et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils s’estiment bons, à la bonne heure. Mais s’ils s’y trouvent répugnans, s’ils n’ont aucune pente qu’à se vouloir établir dans l’estime des hommes, et que pour toute perfection ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai que cette perfection est horrible. Quoi ! ils ont connu Dieu, et n’ont pas désiré uniquement que les hommes l’aimassent ; mais que les hommes s’arrêtassent à eux ; ils ont voulu être l’objet du bonheur volontaire des hommes !


61.

Il est vrai qu’il y a de la peine en entrant dans la piété. Mais cette peine ne vient pas de la piété qui commence d’être en nous, mais de l’impiété qui y est encore. Si nos sens ne s’opposoient pas à la pénitence, et que notre corruption ne s’opposât pas à la pureté de Dieu, il n’y auroit en cela rien de pénible pour nous. Nous ne souffrons qu’à proportion que le vice, qui nous est naturel, résiste à la grâce surnaturelle. Notre cœur se sent déchiré entre ces efforts contraires. Mais il seroit bien injuste d’imputer cette violence à Dieu qui nous attire, au lieu de l’attribuer au monde qui nous retient. C’est comme un enfant, que sa mère arrache d’entre les bras des voleurs, doit aimer, dans la peine qu’il souffre, la violence amoureuse et légitime de celle qui procure sa liberté, et ne détester que la violence impétueuse et tyrannique de ceux qui le retiennent injustement. La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu’il est venu apporter, « Je suis venu apporter la guerre, » dit-il ; et, pour instruire de cette guerre : « Je suis venu apporter le fer et le feu[1] » Avant lui, le monde vivoit dans une fausse paix.


62.

Montaigne. — Les défauts de Montaigne sont grands. Mots lascifs. Cela ne vaut rien, malgré Mlle de Gournay. Crédule (gens sans yeux). Ignorant (quadrature du cercle, monde plus grand). Ses sentimens sur l’homicide volontaire, sur la mort. Il inspire une nonchalance du salut, « sans crainte et sans repentir. » Son livre n’étant pas fait pour porter à la piété, il n’y etoit pas obligé : mais on est toujours obligé de n’en point détourner. On peut excuser ses sentimens un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie ; mais on ne peut excuser ses sentimens tout païens sur la mort : car il faut renoncer à toute piété, si

  1. Matth., x, 34.