Page:Œuvres complètes de Blaise Pascal Hachette 1871, vol1.djvu/406

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17.

Combien de royaumes nous ignorent ! Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye.


18.

Je porte envie à ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de négligence, et qui usent si mal d’un don duquel il me semble que je ferois un usage si différent.


19.

Chacun est un tout à soi-même, car lui mort, le tout est mort pour soi. Et de là vient que chacun croit être tout à tous. Il ne faut pas juger de la nature selon nous, mais selon elle.


20.

Le monde ordinaire a le pouvoir de ne pas songer à ce qu’il ne veut pas songer. «Ne pensez pas aux passages du Messie[1],» disoit le juif à son fils. Ainsi font les nôtres souvent. Ainsi se conservent les fausses religions ; et la vraie même, à l’égard de beaucoup de gens. Mais il y en a qui n’ont pas le pouvoir de s’empêcher ainsi de songer, et qui songent d’autant plus qu’on leur défend. Ceux-là se défont des fausses religions ; et de la vraie même, s’ils ne trouvent des discours solides.


21.

Qu’il y a loin de la connoissance de Dieu à l’aimer !


22.

Quand la force attaque la grimace, quand un simple soldat prend le bonnet carré d’un premier président, et le fait voler par la fenêtre.


23.

Es-tu moins esclave, pour être aimé et flatté de ton maître ? Tu as bien du bien, esclave : ton maître te flatte. Il te battra tantôt.


24.

Ce n’est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j’y vois.


25.

Deviner. La part que je prends à votre déplaisir. M. le cardinal ne vouloit point être deviné.

« J’ai l’esprit plein d’inquiétude. » Je suis plein d’inquétude vaut mieux.

« Éteindre le flambeau de la sédition, » trop luxuriant.

« L’inquiétude de son génie ; » trop, de deux mots hardis.


26.

Ennui. — Rien n’est si insupportable à l’homme que d’être dans un plein repos, sans passion, sans affaire, sans divertissement, sans application. Il sent alors son néant, son abandon, son insuffisance, sa dépendance, son impuissance, son vide. Incontinent il sortira du fond de

    ma connoissance est-elle bornée ? ma taille ? ma durée ? à cent ans plutôt qu’à mille ? Quelle raison a eue la nature de me la donner telle, et de choisir ce nombre plutôt qu’un autre dans l’infinité ? desquels il n’y a pas plus de raison de choisir l’un que l’autre, rien ne tentant plus que l’autre. »

  1. Aux passages qui prouvent que le Messie est venu.