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LETTRE II.

par Jésus-Christ, prêchée par saint Paul, expliquée par saint Augustin, le plus grand des Pères, embrassée par ceux qui l’ont suivi, confirmée par saint Bernard, le dernier des Pères, soutenue par saint Thomas, l’Ange de l’école, transmise de lui à votre ordre, maintenue par tant de vos pères, et si glorieusement défendue par vos religieux sous les papes Clément et Paul, cette grâce efficace, qui avoit été mise comme un dépôt entre vos mains, pour avoir, dans un saint ordre à jamais durable, des prédicateurs qui la publiassent au monde jusqu’à la fin des temps, se trouve comme délaissée pour des intérêts si indignes. Il est temps que d’autres mains s’arment pour sa querelle ; il est temps que Dieu suscite des disciples intrépides au docteur de la grâce, qui, ignorant les engagemens du siècle, servent Dieu pour Dieu. La grâce peut bien n’avoir plus les dominicains pour défenseurs ; mais elle ne manquera jamais de défenseurs ; car elle les forme elle-même par sa force toute-puissante. Elle demande des cœurs purs et dégagés ; et elle-même les purifie et les dégage des intérêts du monde, incompatibles avec les vérités de l’Évangile. Pensez-y bien, mon père, et prenez garde que Dieu ne change ce flambeau de sa place, et qu’il ne vous laisse dans les ténèbres, et sans couronne, pour punir la froideur que vous avez pour une cause si importante à son Église. »

Il en eût dit bien davantage, car il s’échauffoit de plus en plus : mais je l’interrompis, et dis en me levant : « En vérité, mon père, si j’avois du crédit en France, je ferois publier à son de trompe : « On fait à savoir que, quand les jacobins disent que la grâce suffisante est donnée à tous, ils entendent que tous n’ont pas la grâce qui suffit effectivement. » Après quoi vous le diriez tant qu’il vous plairoit ; mais non pas autrement. » Ainsi finit notre visite.

Vous voyez donc par là que c’est ici une suffisance politique, pareille au pouvoir prochain. Cependant je vous dirai qu’il me semble qu’on peut sans péril douter du pouvoir prochain, et de cette grâce suffisante ; pourvu qu’on ne soit pas jacobin.

En fermant ma lettre, je viens d’apprendre que la censure est faite ; mais comme je ne sais pas encore en quels termes, et qu’elle ne sera publiée que le 15 février, je ne vous en parlerai que par le premier ordinaire. Je suis, etc.


RÉPONSE DU PROVINCIAL
AUX DEUX PREMIÈRES LETTRES DE SON AMI.
Du 2 février 1656.
Monsieur,

Vos deux lettres n’ont pas été pour moi seul. Tout le monde les voit : tout le monde les entend ; tout le monde les croit. Elles ne sont pas seulement estimées par les théologiens, elles sont encore agréables aux gens du monde, et intelligibles aux femmes mêmes.

Voici ce que m’en écrit un de Messieurs de l’Académie, des plus illustres entre ces hommes tous illustres, qui n’avoit encore vu que la